
L'opinion qu'on a de vous
Quand j’entrais en force de l’âge,
Affectant des poses imbéciles,
On me snoba. Le voisinage
Redoutant mon aspect viril.
Alors que j’étais au contraire,
Moitié naïf, moitié fleur bleue,
D’une timidité entière.
N’est pas Casanova qui veut veut.
Ce rejet par la société
Me fit comprendre avec dégoût
Qu’il fallait toujours se méfier
De l’opinion qu’on a de vous.
Puis mon étrange réputation
Peu à peu prenant de l’ampleur,
Toutes les belles des environs
M’exigèrentent un peu de bonheur.
Grâce à mon naturel serviable,
M’astreignais à les assouvir
Car je ne suis pas mauvais diable ;
Par où qu’on puisse le tenir.
Le soir, complètement vidé,
Je me disais, sur les genoux,
Qu’il est dur de se conforter
À l’opinion qu’on a de vous.
Bien sûr quelques maris méfiants
Au nez me claquèrent leur porte.
Leurs cornes ils les tenaient pourtant
D’autres que moi ; mais peu importe.
Ils m’ont facilité le choix
De mes amis, éliminant
Les pisse-vinaigre, les pisse-froid,
Les culs-pincés, les mal-baisant.
Et avec mes amis choisis
Philosophant, levant le cou-
De, on profitera à l’envi
De l’opinion qu’on a de vous.
Lorsque mes cheveux grisonnants
M’offrirent un semblant de scrupule,
On autorisa les enfants
À se rasseoir sur mes rotules.
En guise de contes de fées
Moi, vieil antimilitariste
Leur contais la libre pensée
Semant mes graines anarchistes.
Au milieu de tous ces dangers
(Le sexe dans la vie n’est pas tout)
Il faut jouir sans s’entraver
De l’opinion qu’on a de vous.
Quand je serai trop fatigué,
Aspirant l’éternel repos,
La Camarde croyant se venger
M’y expédiera tout de go.
Elle me fauchera sans souffrance,
Sans regret, sans atermoiement.
Car c’est finalement une chance
De trépasser de son vivant.
Quoi que l’on ait commis sur terre
Tranquilles au fond de son trou
On ne se souciera plus guère
De l’opinion qu’on a de vous.
