Tirade des gros
« Vous êtes vraiment gros ». C’est un peu court jeune homme.
On pourrait dire pourtant bien des choses en somme :
Causer de Zeppelin ou bien de Mongolfière
Bien que ces engins-là soient plus légers que l’air ;
Evoquer l’embonpoint, la masse, le volume ;
S’enquérir « Docteur Baleinsstone, je présume ? »
S’exclamer : c’est un ogre ! un géant ! est-ce un homme ?
Que dis-je ? un mutant ! C’est un vrai bibendum !
Mais pour vous dégonfler, on cherche en vain la valve.
Et sortir alors d’un seul coup quelques salves
D’affirmations subtiles ou d’interrogations.
Par exemple – tenez ! mais en variant le ton …
Géomètre : Le trajet serait bien plus court
De passer par-dessus que d’en faire le tour.
Prudent : Dame Nature vous dota par bonheur
Pour éponger les chocs d’un vaste amortisseur.
Sportif : en trébuchant dans une rue en pente
Faites la boule pour être champion de descente.
Agricole : aux comices, sans carabistouilles
Gagnerez le prix de la plus grosse citrouille.
Comptable : Tout seul à Mc Do assurez la fortune
Par votre assiduité sans retenue aucune,
Comme si l’entraînement vous aidait à survivre ;
Et nul Américain ne parvient à vous suivre ;
Dévorant en un jour l’année d’un Sahélien.
Lent : Usez de la prudence pour entrer dans le bain,
La piscine ou la mer ; car un saut détestable
D’un nouveau tsunami vous rendrait responsable.
Serviable : Il faudra qu’un miroir on vous prête
Si vous voulez vous-même enfiler vos chaussettes.
Physiquement étrange : Vous êtes un phénomène,
Malgré une pierre au cou, vous flotteriez quand-même.
Pesant : Vous obligez à reprendre les normes
Qui fixent par ascenseur le nombre de personnes,
Et revoir les tarifs des moyens de transport
Pour qui – comme vous – occupe trois sièges par débord.
Zoologique : Préparez-vous une hibernation ?
Ou la graisse vous sert-elle à une protection
Contre les grands froids, comme les phoques arctiques ?
En achevant le tout par une dernière pique
Posthume : Pour des mois, votre corpulence
De hordes d’asticots fera la providence.
Alors qu’en épitaphe, on prétendra de vous
Que vous êtes plus haut que ne l’étiez debout.
Voici ce qu’à peu près, mon cher, vous auriez dit
Si vous n’aviez qu’une once de lettres ou bien d’esprit.
Mais d’esprit - s’il existe - le vôtre est bien trop lourd
Pour seulement initier l’ébauche d’un discours.
Et pour somme de lettres, je vous le dis sans hâte,
Vous n’avez que les trois qui forment le mot fat.
