

Plaisir d'essence
Au village, notre poste à essence
Luit depuis le début des vacances,
Brillant du socle jusqu’au tuyau :
Serait-ce pour attirer les autos ?
Mais dédaigne les limousines,
Monospaces, quat’quat’, grosses berlines.
S’il scintille ainsi de mille feux
C’est qu’il est amoureux.
D’une petite japonaise
Avec ses phares de braise,
Ses enjoliveurs chromés
Et son pare-brise teinté.
Le cliquetis de son moteur
Lui affole le compteur ;
Ça le sort de l’ordinaire :
C’est super quand il la sert.
Tout l’été, c’est lui qu’elle avait choisi.
Roulant d’la caisse sur son joli châssis,
Ses pneumatiques bien gonflés,
Parfois même la capote baissée.
Il distinguait de loin son Klaxon.
Mais à peine revenu l’automne,
Elle par contre n’est pas revenue :
Il sanglote, très ému.
Sur sa petite japonaise
Qui le mettait tant à l’aise,
Dont la belle carrosserie
Rechargeait ses batteries,
Mais dont le lâche abandon
A mis son cœur en hayon.
S’il regarde dans le rétro
Il maudit son manque de pot.
Qu’y a-t-il de plus fort qu’un bel amour ?
Elle réapparait aux premiers beaux jours.
Candide en sa robe immaculée
Comme s’il ne s’était rien passé.
Leurs sens enivrés aux vapeurs d’essence
Sans interdits ils perdent toute décence.
Patinent en déclenchant l’embrayage.
Sans retard à l’allumage,
Et sa petite japonaise
L’emporte vers les cimaises
Quand son long tuyau se glisse
Dans son petit orifice.
Il s’empresse de la remplir,
Elle glougloute de plaisir ;
Puis se racontent des histoires
Quand le type paye au comptoir.
I
Mais un soir alors qu’il avait trop bu
Le conducteur lui a foncé dessus :
Dans un fracas de tôles froissées
Les voilà tous les deux encastrés.
Ils s’enlacent tendrement et s’embrassent
Durant le long trajet jusqu’au casse.
Sont si intimement emmêlés
Qu’on n’peut les séparer.
Lui et sa p’tite japonaise
Soudés comme une synthèse
D’une compression de César
Associant l’amour et l’art.
Inséparables, il me semble
Qu’ils pourront rouiller ensemble.
Se retrouvent ainsi liés
Pour une longue éternité.
Avec sa petite japonaise
Et ses deux phares de braise
Qui le met toujours à l’aise
Permanent Vendredi 13
Unis comme une synthèse
L’un sert à l’autre de prothèse
Ainsi prend la mayonnaise
De cet amour bien balèze
Même les quatre roues dans la glaise
Ne ressentent aucun malaise
Et s’envolent vers les cimaises
Comme un doux chant de Joan Baez
Mais j’n’ai plus de rimes en « aise »
Et ne chante que des fadaises
Il faudrait que je me taise
Avant de sucrer les fraises
Laï Laï Laï …
